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Résultats négatifs en science

Negative Results est un journal se spécialisant sur les résultats négatifs d’expériences en sciences de la vie, que ce soit du plus fondamental comme la génétique ou la biologie cellulaire, aux applications les plus pures, comme la néphrologie et l’épidémiologie.

Antoine Muchir et les autres cofondateurs de Negative Results sont venus présenter au Centre de Recherches Interdisciplinaires leur nouveau journal scientifique. Leur présentation a stimulé un débat autour des problèmes actuels dans la publication des sciences. Nous avons ensuite vu pourquoi embrasser les résultats négatifs est un grand pas vers une culture scientifique plus productive. Vous n’avez pas la moindre idée de ce dont je parle ? Continuez à lire et découvrez !

negative-results.org_Capture d’écran

Seulement la partie émergée de l’iceberg

Comment est-ce que les sciences fonctionnent dans la vraie vie ? C’est loin d’être la belle histoire que l’on nous raconte dans les bouquins, où chaque étape suit de façon logique la précédente. Étudier les sciences à l’école nous donne cette idée que les sciences sont un processus systématique d’acquisition de connaissances où les scientifiques sont conscient.e.s de toutes les expériences déjà existantes pour faire avancer les sciences.

Jeux de pictos B_ Extrait ressource Fondation La Main à la Pâte

D’une certaine manière ceci est vrai. Les scientifiques doivent toujours se renseigner sur la littérature la plus récente pour voir vers où vont les sciences et où est-ce qu’ils.elles peuvent y contribuer. Toutefois, la réalité de la situation est que la recherche à laquelle nous avons accès est limitée, car seulement une fraction de tout le travail scientifique qui a été fait est réellement publiée et rendue accessible par la communauté scientifique. Dans sa présentation, Antoine Muchir a fait l’analogie avec un iceberg, où ce que voit la communauté scientifique constituait la partie émergée de l’iceberg, et le reste étant invisible sous l’eau.

Mais où va tout le reste de ces travaux ? Quels sont ces résultats secrets et pourquoi ne sont-ils jamais publiés ?

Ces résultats font partie de ce que l’on appelle les « résultats négatifs » (d’où le nom du journal 🙂). Qu’est-ce qu’un résultat négatif ? Et bien, il en existe deux types. Le premier type est un résultat qui ne soutient pas l’hypothèse de l’expérience (j’appellerai désormais ce type de résultat une fausse hypothèse). Ensuite, il s’agit du second type quand le résultat est à l’encontre d’un résultat précédent ou alors une idée relativement acceptée par la communauté. Nous allons voir de manière plus détaillée ce dernier.

Résultats qui contredisent des travaux déjà publiés

Ce type de résultat ne peut être expliqué par une autre expérience qui a déjà été publiée dans un autre papier. Par exemple, imaginez un laboratoire qui montre qu’une certaine drogue ralentit la croissance d’un cancer chez la souris. Ensuite ton labo refait la même expérience et trouve qu’il n’y a aucune différence significative entre les souris auxquelles on a donné la drogue et celles auxquelles tu n’as rien fait (ce qu’on appelle le « témoin » ou le « contrôle »). Ou alors tu te rends compte que les souris traitées s’en sortent plus mal que les souris contrôlées. Ce genre de résultat tomberait sous la seconde catégorie de résultats négatifs.

Mauvaise idée…

Les scientifiques éprouvent des difficultés à publier de tels résultats à cause de ce qu’on appelle le « biais de publication ». En gros, le biais de publication est un phénomène qui fait qu’un article dont la conclusion est à l’encontre de celle d’un autre article qui a déjà été publié est moins susceptible d’être publié dans un journal. Pourquoi est-ce le cas ? Parfois, ceci vient d’une autocensure de la part des scientifiques. Si le.la scientifique se rend compte que son résultat n’est pas en accord avec ce qui est déjà connu et accepté, il.elle se remet en question alors que son résultat pourrait très bien être le bon et le papier qui a déjà été publié serait en fait un faux négatif.  Inversement, le journal quant à lui aurait moins tendance à publier un article qui contredit le résultat d’un autre papier qu’il a déjà publié, de peur que ça discrédite le journal et que ça remette en question sa crédibilité.

Hypothèses fausses

Admettons que que l’on s’intéresse à une protéine qui est censée être impliquée dans la réparation de l’ADN. Pour tester cette idée, on prend comme hypothèse qu’à l’issue de l’irradiation aux rayons ultraviolets, la protéine se retrouve au niveau de l’ADN dans le noyau (parce que la protéine est censée s’accrocher à l’ADN pour le réparer). Cependant, lorsque l’on observe la protéine dans la cellule, on remarque qu’elle est distribuée de manière homogène dans toute la cellule. L’hypothèse était fausse, mais on a quand même appris quelque chose par rapport à cette protéine. Ce résultat négatif rentrerait dans le premier type de résultat négatif : l’hypothèse fausse.

 

Ces résultats qui montrent que l’hypothèse était fausse sont souvent cachés sous le tapis, et deviennent victimes de ce qu’appelle Negative Results « l’effet du tiroir ». En gros, les données qui sont récupérées ne voient jamais le jour et sont entreposées dans les archives, à n’être vues uniquement (si jamais) par les scientifiques du même laboratoire.

Mais pourquoi est-ce que les scientifiques font ça ? Eh bien, des résultats comme ceux-ci sont souvent pris comme un échec. Ils donnent l’impression d’avoir mal compris le système auquel on s’intéressait. Donc, au lieu de publier l’erreur, on la cache et essaie de trouver une nouvelle hypothèse qui puisse être confirmée expérimentalement.

Cette pression pour publier des résultats ne vient pas uniquement des scientifiques, mais aussi de l’extérieur du laboratoire. Pour faire des sciences, il faut beaucoup d’argent, vraiment beaucoup. Ceci est surtout vrai si les expériences nécessitent beaucoup de matériel, comme par exemple des instruments de mesure, des produits chimiques, ou alors des animaux de laboratoire. Par contre, ce ne sont pas les scientifiques mêmes qui financent leurs expériences. En fait, ils financent leurs recherches au travers des subventions en provenance du public et/ou du privé. Mais pour décrocher cet argent « gratuit », tu dois pouvoir vendre ta recherche à tes potentiels donneurs, en te servant de ta crédibilité (c’est-à-dire ta recherche précédente, le nombre de citations que tu as obtenu, et les bénéfices qu’ont apporté ta recherche) et l’applicabilité de ta recherche. D’autres donneurs vont s’intéresser plutôt à l’espoir que ta recherche mène à un nouveau produit ou service.

Pourtant, ceci n’est absolument pas une mauvaise chose ! Des dizaines de milliers d’euros, ou parfois plus, peuvent être investis dans un projet donné, donc bien évidemment que les investisseurs veulent que leur argent finance la recherche qui fait avancer le plus la science. Malheureusement, la capacité d’un.e chercheur.euse à « faire avancer la science » est souvent jugée par sa capacité à produire des résultats positifs, c’est-à-dire des résultats qui confirment l’hypothèse. Cette flagrante préférence pour les résultats positifs met une pression énorme aux scientifiques de produire des résultats qui plaisent à leurs donneurs, une pression qui est reflétée par le fait que le nombre de papiers retirés en raison de fraude s’est multiplié par dix depuis 1975. Les raisons pour cette augmentation sont discutables, mais dans tous les cas elle montre que la pression pour produire des résultats positifs existe bien dans la communauté scientifique et qu’elle a un véritable impact sur la qualité du travail.

Et pourtant, les hypothèses fausses sont au cœur de la science. En effet, à la base, la science est un système qui nous force toujours à questionner notre connaissance, en essayant de démentir nos hypothèses avec des expériences. Si on tombe sur un résultat négatif, c’est que notre raisonnement n’était pas le bon et que nous devons retravailler ce qu’on croyait comprendre déjà. De plus, cette information nous permet de savoir ce qui ne mérite pas d’être refait. Dans le monde de la recherche, il est quasiment certain qu’il y ait d’autres gens qui auront la même idée que toi. S’ils.elles voient que ton expérience n’a pas marché et qu’ils.elles jugent que ton expérience a été faite correctement, ils ne gaspilleront pas leurs ressources ni leur argent pour faire la même erreur.

Un besoin de changement, mais on est sur la bonne voie

Il est clair que Negative Results est une démarche importante pour l’évolution de la culture scientifique. D’abord, il serait d’autant plus nécessaire de citer les papiers, car les scientifiques auraient à citer les résultats négatifs pour justifier la conception de leurs expériences. Ceci changerait également la manière dont le facteur d’impact est perçu (un indicateur utilisé pour évaluer l’influence d’un journal ou d’une personne sur la communauté scientifique).

Imagine-toi que demain, la communauté de chercheurs scientifiques accepte soudainement les résultats négatifs. Quels changements pourrait-on attendre à voir dans la communauté scientifique ?

 

Mais l’une des plus importantes conséquences d’une ouverture aux résultats négatifs serait de loin l’information des scientifiques. Si ton laboratoire publie ses trouvailles négatives, ça pourrait éviter que d’autres scientifiques gaspillent leur temps en prenant la même hypothèse que l’on avait, ce qui fait épargner du temps et des ressources.

En même temps, ce n’est pas forcément une bonne chose que les scientifiques ne tentent pas de refaire ton expérience. Tout comme les résultats positifs qui doivent être mis à l’épreuve en permanence, les faux négatifs existent aussi et doivent aussi être retestés. Si les résultats négatifs découragent les scientifiques, pensant poursuivre des pistes qui n’ont pas marché juste parce que la seule fois où on l’a testée ça n’a pas marché, alors la science va rater toutes ces bonnes idées qui auraient mené à quelque chose de bien.

Il est difficile à dire si Negative Results réussira ou pas, mais en tant que scientifiques on se doit d’embrasser une attitude plus ouverte vis-à-vis des résultats négatifs et d’encourager nos collègues à faire pareil. Après tout, les résultats négatifs ne sont pas aussi négatifs que ce que l’on croit.

 

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Sources illustrations

http://www.flickr.com

http://picjumbo.com

http://commons.wikimedia.org

Image à la une par Viktor Hanacek

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