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La vie… c’est quoi ?

Qu’est-ce donc que la vie ? Tout le monde pense le savoir, ça semble évident aux premiers abords. Mais allez-y. Pensez-y et essayez d’en donner une définition. Pas si facile que ça non ? Pourquoi un concept qui nous est pourtant si commun résiste tant à une définition simple et intuitive ?

Il y a globalement 4 manières de définir la vie actuellement : de manière métabolique (ensemble des réactions chimiques qui ont lieu dans les êtres vivants), de manière darwinienne (évolution des espèces) et de manière informationnelle (essentiellement génétique pour les formes de vie connues). Et la 4ème manière de définir la vie actuellement est grosso-modo de mélanger ces 3 aspects. Nous allons voir que chaque définition de la vie, prise au sens stricte, soit n’inclut pas des êtres qu’on considère intuitivement comme vivant, soit inclut des entités qu’on ne considère justement pas comme vivantes. Un véritable casse-tête pour biologistes, chimistes, philosophes et quiconque se penche sur le sujet. Définir un tel phénomène est-il possible ? Accrochez-vous pour un petit voyage au centre de la vie.

Le métabolisme

Carl Sagan, célèbre astronome et vulgarisateur américain, définit la vie comme ceci :

« Les systèmes vivants sont des régions bien localisées au sein desquelles il y a une croissance continue d’ordre. »

La notion d’ordre en science fait écho à celle d’entropie. L’entropie caractérise le désordre d’un système. Par exemple, un tas de cartes a une entropie (un désordre donc) plus important qu’un château de cartes. Dans la nature, l’entropie de tous les systèmes fermés (pas d’échange avec l’extérieur) augmente forcément. Avec le temps, un château de cartes s’écroulera tôt ou tard. Par contre il est peu probable qu’un château émerge d’un tas de cartes même en attendant très longtemps. Encore plus que le château, les êtres vivants ont la particularité d’être très ordonnés. Et quand l’ordre diminue, eh bien c’est la mort.

Cette définition de la vie reste très partielle. En effet, on peut fabriquer en laboratoire de chimie des régions bien localisées où l’ordre croît continuellement avec une simple réaction. Et pourtant, on est bien loin d’un être vivant.

Au bout d’un temps plus ou moins long, les cartes ordonnées formant le château finissent par former un tas. L’entropie (le désordre) du système augmente. De même après un temps plus ou moins long, la matière ordonnée des êtres vivants finira par se désordonner en augmentant l’entropie. C’est le retour à la poussière, le passage de la vie à la mort.

 

Le biologiste italien Pier Luigi Luisi fournit plus de détails dans sa définition de la vie. Selon lui :

« Un être vivant est un système auto-entretenu grâce à des propres processus internes de production de composants ainsi qu’à une utilisation d’énergie et de matière externes. »

En effet, si je prends un être vivant totalement au hasard, par exemple… vous, lecteur.rice.s assidu.e.s ! Pour survivre, vous devez nécessairement manger. La nourriture est votre carburant, votre source d’énergie, de la même manière que l’essence est celle de la voiture. La différence entre vous et une voiture ?  Elle est produite en usine et réparée au garage. Ses pièces sont conçues par des humain.e.s et non par les voitures elles-mêmes. Alors que vos pièces à vous, vos organes par exemple, ont été conçus par vous-mêmes dans le ventre de votre mère en utilisant la nourriture qu’elle vous transmettait. Et c’est pareil pour l’entretien de vos organes, c’est vous qui le faites tout.e seul.e et non un.e mécanicien.ne (sauf cas particulier où le.la mécanicien.ne en question est médecin). Autre différence, la voiture a besoin de carburant pour rouler mais pas pour maintenir un ordre élevé, ce qui est pourtant le cas pour vous. Sans nourriture, le château de cartes que vous êtes va très vite devenir un tas de cartes.

Mais cette définition est elle aussi partielle. Un.e greffé.e du cœur par exemple ne serait plus considéré comme vivant. Et oui, son nouveau cœur essentiel à sa survie n’est plus issu d’un « processus interne de production ».

 

L’évolution

Rappelons brièvement que la sélection darwinienne résulte du fait que chaque descendance est susceptible de varier légèrement génétiquement et d’avoir de nouveaux caractères. Si ces nouveaux caractères sont un handicap dans l’environnement en question, alors les individus concernés meurent généralement avant d’avoir eu de descendance et donc avant de pouvoir avoir transmis le nouveau caractère. Au contraire, si ce nouveau caractère représente un bonus pour la survie de l’individu dans son environnement, alors il pourra avoir une descendance nombreuse qui possédera ce caractère avantageux. Les individus subissent donc ce qu’on appelle alors une sélection darwinienne.

Selon le biochimiste américain Gerald Joyce :

« La vie est un système chimique auto-entretenu capable d’évoluer de manière darwinienne. » 

C’est d’ailleurs la seule définition de la vie retenue officiellement par la NASA à ce jour.

Cette définition n’a pas la sympathie des créationnistes. Et pour cause, ils croient pour des motifs religieux que l’évolution darwinienne n’existe pas. Ils ne se considèrent alors pas issus de l’évolution. Donc s’ils acceptaient cette définition, ils ne devraient pas se considérer comme vivants. Ironique…

Encore une fois, cette définition n’est pas parfaite. D’après elle, les trois animaux suivants ne sont en théorie pas vivants. Devinez-vous pourquoi ?

 

Une mule, une fourmi ouvrière et une guenon (très) âgée aux regards profonds

 

Réponse : Ils.elles ne peuvent pas se reproduire.

 

Une condition nécessaire à la vie dans la définition retenue par la NASA est la capacité d’évoluer de manière darwinienne et donc nécessairement de pouvoir se reproduire. Cette condition se retrouve d’ailleurs dans la majorité des tentatives de définitions de la vie. Une mule, une fourmi ouvrière et un singe très âgé ne peuvent pas ou plus avoir de descendance. La mule car elle est le produit d’un croisement entre deux espèces (âne et jument) dont la progéniture commune est stérile par nature. La fourmi ouvrière car la capacité de reproduction est exclue du rôle qui lui a été assigné pendant son développement. Et la guenon âgée car elle ne peut probablement plus se reproduire compte tenu de son âge (par souci d’honnêteté, je suis bien obligé de vous avouer que je n’ai pas osé lui demander son âge mais pour les besoins de l’exposé, on admettra qu’elle en a plus pour longtemps). Ces trois animaux sont donc techniquement inertes selon cette définition. Pas très sympa pour eux. Leur regard débordant de vitalité semble pourtant nous crier le contraire.

 

L’information

Tous les êtres vivants ont comme point commun d’être porteurs d’une information. Elle est codée et stockée dans l’ADN où sont contenus tous les plans de notre organisme. Certains scientifiques considèrent alors cette dernière comme étant la substance même de la vie.

Pour le célèbre éthologue* britannique Richard Dawkins par exemple, « L’unité fondamentale, le premier moteur de toute vie, c’est le réplicateur ».  Le réplicateur ? Qu’est-ce que c’est ? Quel est le lien avec la notion d’information ? Un réplicateur est une entité qui peut se répliquer, c’est-à-dire se dédoubler pour former une population de copies de lui-même. Pour ce qui est de la vie, les réplicateurs sont les gènes, ces petites portions d’ADN qu’on se transmet de génération en génération et qui codent généralement pour un caractère, comme la couleur des yeux**. Pour pouvoir se dédoubler, un réplicateur doit accéder à la matière première qui le compose (pour les gènes par exemple, il faut des acides nucléiques). Lorsque le stock de matière première est limité, il y a alors une compétition entre les réplicateurs à qui parviendra à faire le plus de copies de lui-même. Les réplicateurs sont alors sélectionnés de manière darwinienne principalement selon trois critères : longévité (le réplicateur dure suffisamment dans le temps pour pouvoir se reproduire), fécondité (il peut se reproduire en grande quantité) et fidélité (les copies de lui-même sont identiques).

Cette sélection favorise l’apparition de réplicateurs de plus en plus durables, féconds et fidèles*** et qui, d’une manière ou d’une autre, se dotent de tous les moyens possibles pour augmenter ces trois qualités. Devinez quel est le moyen le plus performant qui aurait été mis en place ? La cellule ! Et ainsi les êtres vivants ! Dans ces cellules plusieurs gènes sont présents et coopèrent au bénéfice de chacun, on dit alors qu’ils sont symbiotiques. D’après Dawkins, les êtres vivants sont donc des « colonies gigantesques de gènes symbiotiques », voire des « machines à survie » confectionnées par les gènes pour l’augmentation de leur population…

 

Modèle d’un brin d’ADN, « premier moteur de toute vie » selon Dawkins

Considérer que les réplicateurs sont à la base de toute vie amène à considérer comme vivantes, des entités qui ne le sont pourtant intuitivement pas du tout. C’est le cas des mèmes par exemple. C’est de nouveau Dawkins qui est à l’origine de cette notion qui joue avec les frontières de la définition du vivant. Le mot « mème » désigne une « unité d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société ». Cela peut désigner une idée, un concept, un air de musique, une expression de langage etc. Ce qui est fascinant dans tout ça, c’est que les mèmes sont autant des réplicateurs que les gènes, ils devraient donc « être considérés techniquement comme des structures vivantes, et non pas simplement comme des métaphores » comme le suggère le psychologue Nicholas Humphrey. En effet un mème peut atteindre une très forte population s’il possède les trois qualités du réplicateur : longévité (il reste longtemps dans la tête), fécondité (il se transmet facilement d’une personne à une autre) et fidélité (il ne subit pas trop de transformations pendant sa transmission). Vous voulez un exemple d’un mème particulièrement efficace ? L’air de la chanson « Joyeux anniversaire » est pratiquement universel, et le rituel du cadeau et des bougies le sont tout aussi. Dans le passé, il y a probablement eu plein de manières différentes de fêter un anniversaire, mais cette dernière a été visiblement la plus efficace car elle s’est transmise et répliquée jusqu’à éliminer ses concurrentes. Elle a été sélectionnée de manière darwinienne.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, d’après ces définitions, la chanson « Joyeux anniversaire » est donc… vivante.

Les enfants de la série South Park fêtent un anniversaire. Ils ne se doutent probablement pas que la chanson « Joyeux anniversaire » est une entité vivante selon la théorie des mèmes.

 

La mixité

Toutes les tentatives de définition de la vie ne sont pas cloisonnées non plus aux seuls aspects métaboliques, ou darwiniens ou bien informationnels. Certains scientifiques ont aussi proposé des listes de critères nécessaires et suffisants selon eux pour caractériser n’importe quel être vivant et qui reprennent plusieurs de ces trois aspects.

Alexandre Oparin par exemple, biochimiste russe pionnier de la recherche sur les origines de la vie, propose une liste de 5 critères pour caractériser un être vivant : échange de matière avec son environnement, croissance individuelle, croissance populationnelle, autoreproduction, mobilité. Le critère de croissance individuelle pourrait faire débat car chaque être humain qui a fini de grandir ne n’est donc techniquement plus vivant. Et le critère de croissance populationnelle considère comme inertes des populations qui diminuent, ce qui n’est pas vraiment intuitif.

Francis Crick, biologiste co-découvreur de la structure de l’ADN, établit une liste beaucoup plus simple et ne retient quant à lui que ces trois critères : autoreproduction, évolution et métabolisme. On remarque que le paradoxe des animaux stériles n’est alors toujours pas résolu si on cherche à définir si un individu est vivant ou non.

Chercher une définition de la vie est-il justifié ?

A mon avis, Claude Bernard, médecin français du XIXème siècle, a parfaitement résumé avant l’heure ce qu’il faut attendre du débat sur la définition de la vie :

« Il suffit que l’on s’entende sur le mot « vie » pour l’employer. (…) Il est illusoire et chimérique, contraire à l’esprit même de la science, d’en chercher une définition absolue. »

Il en est de même avec la définition d’une couleur. Tout le monde connaît la différence entre le rouge et l’orange. Mais sur le spectre de la lumière visible que vous voyez en bas, où finit le rouge ? Où commence l’orange ? Il n’y a pas de réponse car ces mots sont de inventions humaines qui simplifient la vision que l’on a de la nature, ce qui facilite le dialogue. C’est pareil pour la frontière entre l’inerte et le vivant.

Il n’y a pas de frontière nette entre les couleurs. Pareil entre le vivant et le non vivant.

La notion de définition n’a donc rien de naturel. C’est à nous de faire un effort pour comprendre le fonctionnement de la nature. Il est illusoire de penser connaître le monde en voulant le faire rentrer dans des cases préconçues et confortables pour l’esprit humain. Notre cerveau a évolué pour favoriser notre survie et non pour comprendre facilement toutes les subtilités des mécanismes de la nature. C’est pour cela qu’il faut être vigilant pour ne pas être tenté de simplifier les phénomènes naturels dans le but de nous sentir plus à l’aise face à eux. N’ayons pas peur de nous rendre compte que le monde dépasse notre langage simplificateur. De cette quête de la définition du vivant ressortent plusieurs choses. Le concept de vie est une notion abstraite utilisée pour caractériser un phénomène particulièrement complexe. Il s’agit d’un phénomène naturel qui est régi par les mêmes lois de la physique que tout autre phénomène. Ainsi la vie n’est au final qu’une organisation particulière de la matière et il n’existe pas de frontière nette entre le vivant et l’inerte. Cette quête désespérée de la définition exacte de la vie nous aura réellement permis de nous en rendre compte.

 

 

——

* Spécialiste du comportement animal.

** Il n’y a pas de définition parfaite de ce qu’est un gène et le sujet mériterait un autre article à lui tout seul.

*** La fidélité n’est jamais parfaite car sinon il n’y aurait pas de mutations, véritables moteurs de l’évolution.  

 

Sources images : graffiti adn (pixabay.com), tas de cartes et château de cartes (Cyrille Jeancolas), mule (wikimedia.com), guenon âgée (500px.com), fourmi (Frederic Labaune), gène (fibromyalgianewstoday.com), anniversaire (img2.wikia.nocookie.net)

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COMMENTAIRES



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    Cyrille 10 octobre 2018 à 16h10 - Répondre

    0 0

    Il existe plusieurs nuances de créationnismes qui acceptent plus ou moins certains degrés d’évolution mais ils ont tous en commun de rejeter à un moment ou un autre le concept d’ancêtre commun. Et ce concept est au cœur de la théorie de l’évolution darwinienne. Le point de divergence ne se réduit donc pas aux origines de la vie car, à ma connaissance, l’ensemble des créationnistes nie l’existence d’un ancêtre commun entre les animaux et les végétaux par exemple.



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    Gary 10 octobre 2018 à 14h10 - Répondre

    0 0

    Merci pour l’article. La seule chose que je devrai vous reprocher c’est une fausse exposition de ma croyance en tant que créationniste. Je ne sais pas où vous avez fait vos recherches sur le sujet mais j’accepte totalement l’évolution. Il est logique d’admettre que nous nous adaptons aux rigueurs de la vie ( génomique ment et caractériellement). Mais la divergence vient de l’origine de la vie et non des processus biologique. Donc Si
    vous acceptiez notre définition que nous sommes crées par Dieu, vous reconnaissez son existence mais vivez comme s’il n’existez pas. Ironique…



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